Les obsessions de David Grann
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- 10 juin 2016
- 3 min de lecture
L’Américain est un pape
de la narrative nonfiction.
Au menu de ses oeuvres :
du crime et des interrogations. Tout pour plaire.

"Pour moi, la plus importante part du processus consiste à trouver une idée d’histoire. Si je peux trouver la bonne idée, je peux m’en sortir et faire une bonne histoire". A lire l’interview accordée par David Grann au site de la Fondation Nieman pour le journalisme d’Harvard, le "processus" serait presque simple comme bonjour. Mais, pour être écrits dans une langue limpide et dépouillée (presque hemingwayenne, dirions-nous si étions pédants – ce que nous sommes objectivement), ses articles constituent des pièces élaborées, à la construction savante, qui ne dévoilent jamais les rouages d’une mécanique narrative pourtant millimétrée. Sa recette ? Il la confie, tranquille, dans le même entretien : "J’étais un très mauvais journaliste. Je n’ai jamais pu faire de pyramide inversée [le dogme de la profession, voir ici pour les curieux] et mettre en avant l’information la plus importante. Je tends à penser à une histoire de manière naturelle, comme si j’étais assis et que je la racontais à quelqu’un".
A l’os : des récits secs et sans fioritures
Qu’il dissèque les magouilles du bien nommé James Anthony Traficant Jr. , politicien véreux (Crimetown*, U.S.A., The New Republic, 2000), qu’il parte sur les traces des escadrons de la mort haïtiens (Givin’The Devil His Due*, The Atlantic, 2001 ) ou s’infiltre au cœur du royaume clos de l’Aryan Brotherhood, la fraternité sanglante et tatouée des taulards White Power aux USA (The Brand*, 2004), Grann ne se contente pas de poser son séant près d’un âtre rougeoyant et "raconter l’histoire à quelqu’un" : il vous saisit gentiment à la gorge et serre jusqu’à ce que vous étouffiez, le souffle coupé par l’implacable enchaînement des faits méthodiquement exposés, scrupuleusement ajustés pour tisser le canevas de récits propres, nets et sans bavures.
Mais s’il excelle à braquer sa lampe-torche sur les ténèbres pour éclairer d’une lumière crue les soubassements d’un système donné (la prison, les contre-allées secrètes du pouvoir politique), Grann n’est jamais aussi bon qu’en s’attachant à la description d’un faits divers. Voyez The Old Man & The Gun (New Yorker, 2003*), true story sur un truand incapable de jeter l’éponge, qui remonte au braquo à l’âge de 79 ans ; voyez l’épopée de Frédéric Bourdin, usurpateur de génie courant le monde en se faisant passer pour un ado meurtri (The Chameleon, The New Yorker, 2008 – traduit en Français par l’excellente maison Allia sous le titre Le Caméléon en 2009) ; voyez encore True Crime (The New Yorker, 2008 – Un Crime Parfait pour la traduction française, toujours chez Allia – 2009), enquête minutieuse sur un assassinat (bien réel) narrée par le menu (sous le couvert de la fiction) dans un bouquin publié en Pologne par... le présumé assassin.
Des bouquins moins chers qu’un paquet de clopes
Après True Crime, un Grann en forme olympique signera le retentissant Trial By Fire, anatomie sans concession d’une affaire présentant tous les symptômes tragiques de l’erreur judiciaire XXL avec exécution d’un probable innocent à la clé – c’est moche. "Récit, enquête, plaidoyer, le texte de Grann rend avant tout compte de l’injustifiable" écrit justement le pitch consacré au bouquin sur le site des éditions Allia – Les lecteurs anglophones pourront se délecter de la version originale en libre accès ici).
Si l’on ajoute à tout ceci que les récits du grand David coûtent moins cher qu’un paquet de clopes (3,10 euros environ chez Allia), l’auteur de ces quelques lignes vous suggère avec insistance de vous plonger à sa suite dans la lecture compulsive de ces œuvres sèches et cliniques. Commencez-donc par Chronique d’un meurtre annoncé, paru d’abord dans les colonnes de l’indispensable mook Feuilleton puis chez Allia car le doute n’est pas permis : il y a du Grann à moudre pour n’importe quel lecteur normalement constitué (ce que nous ne sommes pas vous et moi, objectivement).
Aux dernières nouvelles (qui remontent à 2010 tout de même et outre la parution de The Lost City of Z chez Robert Laffont), Grann a signé The Devil and Sherlock Holmes: Tales of Murder, Madness, and Obsession – un recueil, à ce que l’on comprend sur divers sites de vente de bouquins en ligne. D’où ce déchirant appel à un éditeur français : MAGNEZ-VOUS LE TRAIN DE LE PUBLIER, MERCI.
* Non traduits en Français
Photo (c) Blog laccoudoir.com où l'on peut se délecter d'une excellente interview, this way please.
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