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VERSUS. Forensics : la guerre police – gendarmerie

Perrine Rogiez-Thubert et Thierry Lezeau connaissent bien les cadavres. Mais qui en parle le mieux ? La fliquette ou l'officier de gendarmerie ? Fight.

 
Round 1 : La parole est au cadavre*

Il y a d’abord un titre (excellent) et un pari : vulgariser le traitement de la scène de crime et en rendre accessible au plus grand nombre la complexité technique, juridique et émotionnelle du travail des "Experts". De ce point de vue, Perrine Rogiez-Thubert remplit plus que largement son office. En donnant la parole aux quelques quatre cents cadavres "traités" à l’époque de la parution de cet opus, l’ancienne fliquette en tenue (elle a gravi un à un les échelons de la Grande Maison, ça confère une certaine légitimité), nous entraîne de chambres de bonnes en cages d’escaliers, là où la Mort accomplit patiemment son œuvre. Et c’est pal-pi-tant. Le bouquin tient pourtant davantage du manuel professionnel et du cours de médecine légale que du récit à proprement parler. Or, c’est précisément de ce point de vue que le pari est tenu : les chapitres sont courts et percutants, chaque aspect théorique abordé ("les signes cadavériques", "scène de crime et suffocation, "autopsies singulières" – que du bonheur…) se trouve illustré par des exemples très concrets où l’auteur dose savamment distanciation professionnelle et empathie profonde avec ses "clients" en évitant l’écueil du moralisme fastoche qui plombe les rares bouquins consacrés à la matière. Seuls bémols : une mise en page pas jojo et un travail d’édition qui laisse parfois à désirer.


*La parole est au cadavre, Perrine Rogiez-Thubert, éd. Demos, 205 pages.



Round 2 : Scène de crime*

La "scène de crime" – ou plutôt les scènes de crime – arpentées par Thierry Lezeau ne répondent pas à la même vocation. Ici, pas de cours magistral sur la tâche verte abdominale mais essentiellement du vécu depuis que l’auteur, voici près de trente ans, a posé les yeux sur une boîte de petits gâteaux (vous comprendrez à la lecture). Le lecteur met donc ses pas dans ceux de cet officier de gendarmerie (qui a commencé, lui aussi, en bas de l’échelle hiérarchique) à un rythme soutenu. Tout l’art de Lezeau consiste à entrebâiller des portes sur un monde fermé et inconnu du plus grand nombre, avec humanité et un sens parfois très littéraire de l’ambiance, comme dans cet extrait tiré de la description – forcément gothique – de l’ancien IML (Institut médicolégal) de Paris :


"Bâtiments austères aux briques rouges noircies par la pollution (…), les grandes portes métalliques à l’arrière du bloc vous refroidissent d’entrée. Les couloirs gris et sales n‘arrangeaient rien jusqu’à la salle d’autopsie (…) Il y avait du sang partout (…) On avait droit aux images d’Apocalypse, aux corps décomposés depuis le matin entassés les uns sur les autres sur des chariots de transport dans les couloirs. Les corps étaient ouverts, les organes visibles replacés en vrac."


Alléchant, n’est-il pas ? Un peu moins appétissant : le ton typiquement gendarmesque et parfois jargonnant et cette fâcheuse tendance à abuser du name dropping en forme d’hommage avec grades et fonctions. Le "major Machin" et la sagacité du "capitaine Truc", franchement, on s’en cogne. Pour le reste : du tout bon.



*Scène de crime, Thierry Lezeau, J.-C. Lattès, 256 pages - 19 euros.



And the winner is…


Les deux livres ne boxent pas dans la même catégorie mais tous deux tranchent par un ton, un propos et un traitement aussi singulier qu’attrayant pour le lecteur. Match nul.

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